Le quotidien d’un éducateur de jeunes enfants
Article publié dans "Rencontres" le 11/04/2014
Travailler dans la petite enfance est une affaire de professionnels. Mais les diplômes ne font pas tout et Jérémy nous le prouve une nouvelle fois en nous présentant son métier d’éducateur de jeunes enfants avec la passion qui le caractérise.
Un EJE à la crèche
Il y a un an, Jérémy était encore en formation d’éducateur de jeunes enfants (EJE). Désormais diplômé, son regard sur le métier a bien évolué. Très gentiment, Jérémy a bien voulu répondre à nouveau à nos questions pour nous présenter le quotidien d’un professionnel de la petite enfance.
Pour retrouver notre première interview de Jérémy, c’est par ici.
Jérémy nous donne également son point de vue sur les stages en crèche dans notre article : Le statut de stagiaire en crèche, l’enjeu de la réforme.
Quel est le poste que vous occupez actuellement et dans quel type de structure ?
Je viens de quitter mon premier poste d’éducateur de jeunes enfants, sur une structure multi-accueil (crèche et halte-garderie), de 40 enfants, gérée par une communauté de communes.
Désormais je suis sur un poste d’éducateur de jeunes enfants, mais en direction adjointe cette fois-ci, sur une structure multi-accueil également, mais inter-entreprises de 20 enfants.
C’est quoi une journée type pour vous ?
En petite enfance, chaque journée est différente avec son lot de surprises. On ne peut jamais savoir à l’avance. Je fais en fonction du moment, de mes observations, des enfants… ce qui rend chaque jour unique.
Mais il y a quand même un certain rythme, des repères à tenir pour le bien-être et la sécurité affective des enfants.
Globalement, une journée type en crèche c’est plusieurs grands moments : l’arrivée échelonnée des enfants avec « jeux libres », le petit jus de fruit du matin, la grosse activité du matin, les comptines, le repas, le temps calme, la sieste, le gouter, l’activité de l’après-midi, les lectures, les « jeux libres » de nouveau avec départ échelonné des enfants.
Après, tout dépend de la structure, de l’équipe et de son projet éducatif et pédagogique.
Les professionnels proposent chaque jour des petites activités, réfléchies en équipe selon le projet du moment, mais surtout, en fonction de leurs observations et des envies/besoins du jour des enfants.
Durant les « temps libres », les enfants jouent librement dans la structure, sans consignes de l’adulte dans les différents espaces aménagés (dinette, voitures, motricité…). Les temps libres en crèche sont très importants, car chaque enfant peut y exprimer sa créativité, ses émotions, ses envies à travers le jeu de son choix. Le travail de l’équipe se situe ici dans le choix des jeux et l’aménagement, par exemple, qu’il faut sans cesse revoir en fonction de l’évolution du groupe.
Lors de ces temps libres, nous les observons ce qui nous permet de mieux les connaître, les situer dans leur développement et ainsi adapter notre projet et nos actions. C’est un temps où nous pouvons tisser des liens en jouant avec eux. En apparence le « temps libre » peut paraître si simple, mais en réalité il est si riche autant pour l’enfant que pour le professionnel.
En tant qu’éducateur de jeunes enfants, ma journée type diffère peut-être un peu de celle de mes autres collègues, dans le sens où parfois je suis amené à m’isoler dans le bureau quand je sens que l’équipe n’a pas forcément besoin de moi pour travailler le projet de la structure, aller échanger avec la direction sur certains points, faire des recherches, poser par écrit des observations sur certains enfants, rencontrer des partenaires, m’entretenir avec des parents… Ces moments sont rares, mais ils existent. Le métier d’EJE est très polyvalent.
Sinon, pour résumer, une journée à la crèche ce sont des jeux, des rires, parfois des pleurs aussi, des chants, des lectures, des câlins (beaucoup de câlins !), de la danse… Bref, une journée à la crèche c’est la vie !
Une anecdote avec les enfants qui vous a particulièrement marqué ?
Des anecdotes avec les enfants j’en ai tous les jours et il serait difficile de dire laquelle m’a particulièrement marqué depuis que j’ai commencé.
La plus récente peut-être, j’ai quitté la structure il y a quelques jours et j’ai donc dû l’annoncer aux enfants ainsi qu’aux parents.
Une réaction qui m’a, pour le coup, particulièrement marquée a été celle d’une petite fille de 1 an et demi qui, comme à son habitude chaque jour après le repas, me bousculait pour jouer, sur les tapis, en riant. À un moment, j’ai pris ses mains et je lui ai dit « Tu sais, dans quelques jours je vais partir travailler ailleurs. Tu vas beaucoup me manquer ». Elle m’a fixé, a cessé de me bousculer et son sourire s’est soudainement effacé avant de s’effondrer sur moi pour me faire un câlin qui a duré plusieurs minutes. Elle s’est ensuite levée et est partie jouer plus loin. À ce moment précis, j’ai réalisé à quel point j’avais de la chance d’exercer ce métier. Pour que cette petite m’offre spontanément ce câlin, ce qui n’est pas anodin comme geste, c’est que vraiment j’ai dû compter pour elle.
Les métiers de la petite enfance sont des métiers de l’humain et c’est ça que j’adore. Les enfants sont d’une telle spontanéité. Je suis toujours surpris par leurs questions, leurs remarques ou leurs attitudes. Parfois ça fait rire, parfois ça fait chaud au cœur, parfois ça peu inquiéter ou questionner. Mais, à chaque fois, les observer est une véritable leçon de vie.
Le changement entre EJE étudiant et professionnel
L’an dernier vous évoquiez le fait que votre formation vous permettait de côtoyer beaucoup de professionnels et ainsi de rester vraiment proche du terrain. Maintenant, vous voilà professionnel.
Votre vision du milieu où vous travaillez est-elle différente de celle que vous aviez en tant qu’étudiant ?
Oui, complètement. Quand on est stagiaire, on vit dans un autre temps que celui des professionnels. Ne faisant pas partie vraiment de l’équipe, on ne vit pas au même rythme qu’eux et avec les mêmes préoccupations. Tu peux alors plus facilement te poser, observer les enfants, questionner l’organisation générale. Tu prends davantage de recul. Mais quand d’un coup tu passes professionnel, tu réalises que ça devient plus complexe. Entre ce que les gestionnaires nous imposent, la réglementation parfois contraignante et ses obligations, la complexité du travail en équipe, le manque de reconnaissance, le manque de moyens (humain, financiers…)… pas simple en fait d’être professionnel.
On est toujours occupé et se poser pour simplement observer devient difficile. En tout cas, pour ma part, j’ai l’impression de toujours courir, d’être sur tous les fronts ! Or, l’observation est très importante dans les métiers de la petite enfance. Tout ce que donne à voir l’enfant, tout ce qu’il peut nous communiquer, sont autant d’indices qui vont nous aider à le connaître, à nous adapter, à répondre plus justement à ses besoins. Il faut alors en parler en équipe, les annoter quelque part pour en pas oublier. Mais malheureusement, ce n’est pas toujours possible par manque de temps ou de moyens justement.
Pris dans le quotidien et ses contraintes, les professionnels n’ont pas le temps de se poser. Ces observations sont alors communiquées de manière informelle entre nous, entre deux temps du quotidien, mais après elles s’oublient et on passe à autre chose et c’est dommage. C’est là que la routine s’installe.
Heureusement, même si c’est parfois difficile, être professionnel c’est si gratifiant. Tu es libre de faire ce que tu veux. On te fait confiance et ça, j’adore. Tu n’as plus la pression de la formation et c’est paradoxal, mais j’ai moins peur de l’échec. J’ose plus de choses, car j’ai moins ce sentiment d’être jugé que quand j’étais stagiaire. Mon diplôme me donne une certaine légitimité.
Des déceptions ou des bonnes surprises ?
Ma première déception a été de me rendre compte à quel point la petite enfance est en crise. Nous devons composer avec un quotidien assez difficile notamment en terme d’encadrement. Chaque jour, nous fonctionnons à flux tendu avec toujours plus d’enfants, mais le même nombre de professionnels (voire moins quand il n’y a pas de démissions ou d’arrêts maladie). J’ai été surpris par la fatigue et le stress qui règne ici. Moi qui arrive avec ma « fraicheur de jeune diplômé », je commence à comprendre l’épuisement et la démotivation de certains « anciens » professionnels. Ce ressenti, tu ne l’as pas forcément en tant que stagiaire.
Et puis, les gestionnaires donnent parfois l’impression de ne pas vraiment s’en soucier, préoccupés par d’autres choses peut-être plus importantes, car la crise est partout. Pas simple quand tu sors de formation pour te faire entendre, trouver les arguments et les bons mots. Il y a tellement d’enjeux qui nous dépassent et pour lesquels nous sommes totalement impuissants.
La bonne surprise, c’est au niveau de l’équipe. Là où je quitte mon poste, mais également là où je vais débuter dans quelques jours, j’ai pu sentir de leur part une réelle reconnaissance de mes compétences d’EJE. Ils attendent beaucoup de moi pour les accompagner, les conseiller et surtout les valoriser. Même si aux yeux du grand public et des politiques la profession d’EJE est très méconnue, au sein de la profession on nous reconnait une certaine expertise et c’est pour le coup très valorisant.
Y a-t-il certains détails auxquels vous n’avez pas ou peu été préparé et qui mériteraient d’être abordés davantage dans la formation d’EJE ?
Tout ! Je trouve avec du recul que trois ans ce n’est pas suffisant pour vraiment tout aborder en profondeur.
En formation, on te donne toutes les notions de pédagogie, d’éveil et de développement du jeune enfant, mais tu ne dois pas te contenter de ça. Il faut aller au-delà, lire, se renseigner, assister à des conférences, poser des questions, mettre en pratique.
La formation en tant que telle c’est juste une base. Quand tu es dedans, tu ne le réalises pas et tu penses parfois que ce qu’on t’apporte suffit. En tant que professionnel, je prends conscience de mes quelques lacunes. Alors je me renseigne sur les formations complémentaires, les conférences organisées dans le coin, je continue de lire, de me questionner, de questionner les collègues plus aguerris… La formation n’est qu’un début.
Jeune professionnel, on a encore beaucoup à apprendre et nous n’avons pas fini de nous former. Néanmoins, je pense que lors de la formation, des sujets comme la réglementation, la fonction de direction de structure, le management d’équipe… devraient être plus approfondis, avoir une place plus importante, car c’est ce vers quoi tend aujourd’hui le métier d’EJE.
Des projets à venir ou perspectives d’évolution à court, moyen et long terme ?
À court terme, je vais d’abord prendre mes nouvelles fonctions d’adjoint. J’ai hâte, car c’est le type de poste que je recherchais et qui, je pense, me correspond plus. J’aime l’idée d’être à la fois auprès des enfants et dans l’administratif, l’accompagnement de l’équipe et des familles, être en lien avec les partenaires.
À moyen terme, j’aimerais pouvoir m’investir durablement dans le projet d’une structure qui me plait vraiment et dans laquelle je suis bien.
À plus long terme, j’aimerais vraiment, pourquoi pas, créer une structure ou reprendre une direction. Mais ça, j’ai encore le temps, car je ne pense pas avoir encore assez d’expérience.
Pour en savoir plus sur le métier d’éducateur de jeunes enfants, n’hésitez pas à consulter le blog de Jérémy : ejeblog.tumblr.com ou à le suivre sur Twitter : @ExperienceEJE.