Anne Fall, directrice de la SCOP « Les petits d’Homme »
Article publié dans "Rencontres" le 26/07/2013 - Mis à jour le 23/05/2014
Il y a quelques mois, nous vous présentions la crèche « les petits d’Homme ». Aujourd’hui, sa cofondatrice Anne Fall répond à nos questions et nous en dit plus sur cet établissement particulier.
Les sociétés coopératives et participatives ou SCOP ne sont pas légion. Quand il s’agit de crèche, la forme est encore plus rare. Concrétisé en janvier 2013 avec l’ouverture à Pantin (Seine-Saint-Denis) de la crèche « les petits d’Homme », le projet d’Anne Fall et de Raphael Molho séduit.
La gestion coopérative en crèche
Pour résumer grossièrement, une société coopérative se distingue d’une société lambda principalement par le fait que ses salariés en sont les premiers décisionnaires.
Pouvez-vous nous expliquer en quelques lignes comment fonctionne votre établissement au jour le jour et quel est votre rôle au sein de la structure ?
La gestion coopérative, c’est la participation des salariés à la vie de leur établissement. L’ensemble des professionnels ainsi que les gestionnaires sont salariés à temps plein de la société.
L’ensemble des salariés a la possibilité au bout d’un an d’ancienneté de prendre des parts dans la société. Ainsi, lorsque des décisions essentielles doivent être prises concernant le fonctionnement au quotidien et le devenir de l’entreprise tous les salariés associés sont invités à s’exprimer et à voter selon le principe démocratique d’un Homme=une Voix.
Enfin, les salariés devenus associés ou pas partagent le fruit de leur travail puisque les bénéfices leur sont majoritairement redistribués.
Notre rôle de gestionnaire est en plus de nos missions opérationnelles liées à la gestion administrative, financière, commerciale et RH de notre établissement, la mise en place et le suivi du mode de gestion démocratique de la société.
Vous mettez la participation des salariés au cœur de votre philosophie. Quels sont les principaux avantages d’une telle forme vis-à-vis du public ?
L’intérêt est immédiat vis-à-vis des familles. Le personnel est plus impliqué, plus motivé et reste plus longtemps dans l’entreprise, ce qui a un impact fort sur la qualité d’accueil offerte aux enfants.
N’y a-t-il pas certains risques associés dans la gestion de l’établissement, du fait notamment que les employés ne soient pas par définition des gestionnaires ?
Il est techniquement possible par le principe démocratique du vote que des décisions soient finalement prises par une majorité de salariés non éclairés.
Nous ne recherchons pas et nous ne ferons pas de nos salariés des gestionnaires. Ce qui nous importe c’est que chacun puisse apporter à travers sa formation et son expérience une vision particulière, un angle de vue. C’est cette diversité qui est intéressante.
Proposez-vous une formation ou un accompagnement spécial des salariés dans cet exercice ?
La gestion démocratique implique la participation et le vote de nos salariés aux décisions stratégiques pour l’avenir de la société. Pour permettre à chacun une meilleure compréhension des enjeux de notre entreprise, des présentations internes sont faites sur les thématiques spécifiques à notre marché et des formations proposées sur les grands principes de la gestion d’entreprise.
La crèche « les petits d’Homme »
Lancé en janvier 2013, l’établissement dispose pour le moment de 45 places ouvertes aux parents, aux entreprises et aux collectivités.
Quels sont vos projets à moyen et long terme pour « les petits d’Homme » ?
Nos projets de développement sont principalement liés à notre volonté de dupliquer le modèle de crèche en gestion coopérative notamment en Seine-Saint-Denis, département le plus sinistré de la région avec 21 places pour 100 enfants. Nous proposons notre modèle et notre expertise dans le cadre de délégation de service public pour la reprise en gestion et en exploitation de crèches municipales.
En parallèle, nous souhaitons développer au niveau national un réseau de franchisés « Les petits d’Homme » en accompagnant des gestionnaires ou des spécialistes de la petite enfance dans la création de leur propre crèche en gestion coopérative.
Tout comme Raphael Molho [cofondateur de la structure NDLR], vous êtes issue d’un parcours professionnel basé sur la gestion et le management d’entreprise, qu’est-ce que qui vous a amenée dans ce domaine précis d’activité qu’est la petite enfance ?
L’idée pour moi a été de mettre mes compétences au service d’un projet utile socialement.
Certains parents et professionnels de la petite enfance reprochent aux crèches privées et notamment aux crèches d’entreprises de s’intéresser davantage à l’aspect commercial, financier du secteur au détriment, du service d’accueil rendu. Votre avis sur ce point ?
L’accueil de jeunes enfants en collectivité est très règlementé tant en matière de qualification du personnel, que d’aménagement, d’hygiène et de sécurité des locaux. Les règles s’appliquent de la même manière dans les crèches publiques et dans les crèches privées.
La différence de qualité d’accueil se fait par les moyens mis à disposition des enfants et des personnels. C’est par exemple : augmenter le nombre de professionnels auprès des enfants pour pallier aux absences, équiper ses locaux d’air climatisé pour parer aux périodes de fortes chaleurs, équiper les vestiaires du personnel d’une douche, disposer d’un espace extérieur pour les enfants, etc. Chaque structure publique ou privée décide la mise en place de ces moyens en fonction de ses contraintes, principalement financières.
Notre société met la qualité d’accueil des enfants au cœur de ses préoccupations. Nous avons donc fait le choix d’augmenter de 20 % le nombre de personnel auprès des enfants, d’associer nos salariés au fonctionnement de leur établissement et d’aménager nos locaux dans le seul objectif d’offrir au personnel et aux enfants un confort de travail et d’accueil digne de ce nom. C’est l’idée de notre slogan : Les petits d’Homme, des crèches pour que chacun trouve sa place !
Plus de places pour plus de tout-petits
Début juin, le 1er ministre a annoncé la création de 100 000 places en crèches d’ici 2017. Affichant le taux de natalité le plus élevé de France métropolitaine (18,5 pour 1000 habitants en 2011), le département de Seine-Saint-Denis présente, d’après la CNAF, la capacité d’accueil la plus faible d’Ile-de-France avec 29 places pour 100 enfants.
Le plan gouvernemental tel qu’il a été présenté vous semble-t-il réalisable ? Auriez-vous souhaité un autre type d’action ?
L’État propose d’augmenter les crédits alloués au Fonds National d’Action Sociale (FNAS) dont dépend la CAF principal financeur de places en crèches. Il souhaite créer d’ici 4 ans 100 000 nouvelles places en crèches.
Le FNAS finance différents types d’actions sociales. Il faudrait être sûr d’une part que les crédits alloués à la création de nouvelles places soient à la hauteur des montants à investir (environ 22 000 € par place créée ce qui représente un budget de 2,2 milliards d’euros) et d’autre part que ces lignes de crédit ne soient pas d’ici 4 ans utilisées à d’autres fins.
Par ailleurs, les collectivités locales financent elles aussi la création de nouvelles places en crèche. Je me demande comment elles vont pouvoir continuer à le faire avec des budgets en berne.
Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer dans ce plan ?
Nous travaillons en collaboration avec les communes de la Seine-Saint-Denis tant sur la reprise en gestion coopérative de crèches existantes que sur la création de nouvelles places.
Notre modèle trouve de plus en plus de légitimité et nous pouvons nous appuyer notamment sur notre agrément Entreprise de l’Économie Sociale et Solidaire pour bénéficier des orientations de la toute récente loi ESS.
Nous interpellons tout de même le président du conseil général de Seine-Saint-Denis. De récents moratoires ont supprimé les aides à l’investissement et au fonctionnement pour la création et la gestion de nouvelles places en crèches à l’ensemble des entreprises de crèches. Or, les sociétés coopératives de par leur statut particulier ne font pas appel aux mêmes investisseurs que les sociétés privées classiques et ne sont donc pas soumises à la même logique de rentabilité.
Nous demandons donc que les sociétés coopératives soient écartées du champ d’application de ces moratoires à l’instar de ce qui a été proposé et voté l’année dernière par la région Ile-de-France.